ORIGINE France | ![]() |
ANNEE 2008 | |
REALISATION
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INTERPRETES
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Critique Aka Ana | |||||
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![]() Mais les préoccupations des deux hommes s'opposent radicalement. Là où Mekas origine sa pratique dans une forme originale de nostalgie au présent, faisant de chaque moment filmé une mémoire encapsulée dans le tissu des êtres, des espaces et des temps, c'est à une forme d'exil métaphysique que se livre A.d'A., dans sa volonté d'arracher au monde ce qui en est le mensonge et faire advenir au regard ce qui l'aveugle. Nulle surprise si l'on retrouve ici l'ensemble des thèmes qui marquent déjà les oeuvres photographiques de d'Agata, artiste obsessionnel et transgressif s'il en est : le sexe, la prostitution, la drogue, la nuit sont les leitmotivs répétés de cette errance tokyoite vécue entre septembre et décembre 2006, période pendant laquelle d'A. a filmé et enregistré sept jeunes femmes rencontrées dans le quartier de Shinjuku, h ![]() Erotique, autant le dire, le film l'est très peu - et lorsqu'il l'est, c'est comme par inadvertance, par une façon de regarder ailleurs, en détournant un moment le regard. Un plan de jambes et c'est un pied qui se déchausse, l'instant d'une respiration entre deux halètements. La plupart du temps, d'Agata filme frontalement, plonge, exhibe l'intime pour autant qu'il partage cette ![]() On peut en effet applaudir d'un côté à cet élan qui permet à l'auteur de dépasser à la fois la référence picturale ou photographique (Man Ray et Courbet convoqués le temps d'une scène liminaire) et la limite d'un érotisme éprouvé par la perversion cinématographique. On ne peut que souscrire à l'engagement radical, et sous une certaine forme « angélique », qui pousse d'Agata à tenter d'épuiser à la façon gnostique la matière sexuelle du monde pour lui faire rendre le mystère d'une origine et d'une partition des êtres, soit cette énigme que chaque sexe constitue au désir de l'autre. Il y a là une furieuse force de vie qui ose s'emparer jusqu'au plus cauchemardesque, une belle puissance de la transgression qui s'accole au paradoxe de faire voir un aveuglement, de donner à vivre un chemin bordant la mort ![]() Certes, mais suffit-il d'évoquer cette beauté mystique pour faire oeuvre cinématographique ? C'est peut-être dans sa constitution en tant que forme filmique même que l'oeuvre de d'Agata trouve sa limite et la possibilité de sa critique. Si l'on y voit en effet des images de prostituées, si l'on y entend leur voix témoigner, ce n'est jamais que sous le seul régime d'une séparation, d'une scission entre les premières et la dernière. D'Agata se constitue ainsi implicitement en porte-parole des prostituées qu'il filme, comme si lui seul pouvait donner à entendre ce qui se cache derrière les cri et les halètements de ces « actrices ». La position consiste alors à refuser au cinéma la possibilité à se faire mystique hors cette désunion radicale qui lui serait imposée de l'intérieur. Or, on le sait, depuis le réalisme de Bazin jusqu'aux tentatives de Bruno Dumont, c'est bien là où on regarde que ça se joue, c'est bien là qu'il parle, le mystique, et non pas dans le lieu d'une coupure qu'on a beau jeu d'élargir jusqu'à l'abîme ou refermer en la couturant de sens. Autre point qu'il est difficile d'accorder à d'Agata : la généralisation de la caméra infra-rouge qui permet de saisir des regards aveugles, de fixer des corps absorbés dans leur propre nuit. L'idée est assurément belle - arracher à l'aveugle l'énigme de sa vision nue parce que niée - mais très dérangeante en pratique, pour ce qu'elle convoque la forme horrifique d'un regard sans échange à l'instar du final de [REC]. Si le rapport entre les corps place les prostituées et d'Agata face au même péril, il n'en est pas de même quand l'un voit ce qu'il filme et que l'autre y reste aveugle. Au viol consenti du corps et retourné en offrande amoureuse, en parole d'aveu, faut-il adjoindre également le vol d'une image pour que la transgression soit complète ? Il y a soit là coquetterie formaliste de l'auteur, soit reconnaissance d'une répartition des rôles qui ne fait rien moins qu'entériner d'odieux rapports de force. D'Agata alors proche de Houellebecq peut-être. L'énergie mystique retourné en ironie cynique ne tenant plus la route que par l'élan de sa ferveur première. Un angélisme innocent ne prenant conscience de lui que dans l'aveu d'une manipulation dégueulasse et obscène. La force de la transgression disparaissant dans une exhibition qui force le spectacle pour faire oublier qu'il n'a peut-être qu'elle à offrir. Ou comment glisser du sublime au trivial.
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